Le Soleil, le mercredi, 6, Fevrier, 2002


Eric Moreault EMoreault@lesoleil.com

Le capitaine de l'equipe russe, Vladimir Kouarev, scie l'immense bloc de neige qui deviendra sculpture au cours desprochainsjours. Curieux, quand on y pense, d'utiliser la neige comme matière a sculpter : c'est l'éphémère dans l'art de la pérennité. La cinquantaine d'artistes qui participent a la 30e présentation de l'Internationale de sculpture sur neige ne prennent pas pour autant la chose a la légère. Certains profitent mème de cette prise de parole pour dénoncer, revendiquer ou, plus symboliquement, livrer un message.

Par un froid très earnavalesque, les artistes d'une quinzaine de pays ont empoigné hier scies, marteaux, machettes, fils de fer, pelles et autres ac-cessoires pour ciseler leur immense bloc blanc la semaine durant. Lente-ment émergeront formes diverses et si-gnifications, plus ou moins évidentes : c'est selon.

L'equipe frangaise y va de but en blanc, fagonnant la tète de Charles De Gaulle sur des fùts radioactifs. Ne cherchezpas c'est lui prend prétex-te de l'entrée de la France dans l'Europe pour dénoncer la politique éner-gétique de l'Hexagone qui repose a 80 % sur le nucléaire — le célèbre generai en est l'instigateur.

«Nous avions envie d'une sculpture engagée. Il faut absolument s'en sortir, peu a peu, en développant l'energie so-laire ou bien éolienne comme en Espagne», confie Christine Eugène. Elle sou-ligne au passage que le projet donne des sueurs froides aux responsables du concours mais que le trio mene par Andre Sondel persiste et signe. « On a dé-jà fait Che Guevarra et Martin Luther King au concours international fran-c,ais», souligne-t-elle.

Tout juste a còte, les Américains s'at-tellent a Perpetuai Unity, une boucle continue qui tourne autour d'elle-mème et a travers elle. Directement inspirée des événements récents, elle se veut rien de moins qu'une «vision fugitive de la vérité ». « L'humanité est a la croisée des chemins. Elle doit decider si nous voulons tous vivre ensemble. (Cette sculpture) est un message d'espoir, l'utopie de ce que pourraient étre les choses. » À\'inverse,LePois terrestre des Qué-bécois, une sphère supportée par des arcs, prend ses distances et cherche au-trement a susciter une réflexion. « C'est facile de se servir des sujets d'actuali-té », estime Jacques Barii, dont le trio a remporté Fan dernier les prix d'excel-lence du Québec et des artistes et, cette année, la mention du Carnaval du volet québécois du concours.

Leur oeuvre en devenir évoque plutòt la gravite dans tous les sens du terme, au-tant la gravite terrestre que la gravite de la vie. Car, conviennent-ils, la «terre abe-soin de l'intelligence de l'humanité ». Karina Ragusa est bien placée pour en parler. Il tient du miracle, alors que l'Argentine est sens dessus dessous, qu'elle soit ici. L'argent étant bloqué a la banque, elle a trouvé un mécène deux jours avant de partir pour payer le coùt du voyage. Le Carnaval lui donne la chance unique de recréer en format géant sa sculpture El Movimiento Eterno, qui symbolise le mouvement éterneldelavie.

D'autres ont moins de chance. Le Belge Serge Gangolf a puisé dans ses po-ches. Mais lui qui vient depuis 12 ans ne manquerait pas sa chance d'expéri-menter dans ce formidable « laboratoi-re » où la matière première, curieuse-ment, « change a chaque année ». Certains privilégient le symbolique, comme la Norvège, ou le figurati!, comme le Canada, dont le Canada 's Wild représentera une meute de loups qui attaquent un grizzly. Jurés et public départageront tout c.a dimanche.

design: Malyshev Eugeny